Les Trois Crocus
4h du matin. Je passe chercher Guillaume et Jérémy. Jérémy a prévu de dormir pendant le trajet, entre son job et sa petite il n’est pas très entraîné ni très reposé. Mais on est trop excité et on fait que de parler pendant le trajet. Jérémy redoute les 42km avec 3000m de dénivelé (positif et autant en négatif) qui nous attendent. Guillaume et moi aussi mais un peu moins puisqu’on avait fait le tour des Dents Blanches (~28km et pas mal de dénivelé) le weekend d’avant et que ça s’était plutôt bien passé.
Le weekend d’avant, après ~20km, arrivée en haut du Pas de Taureau.
Arrivés à Crans-Montana vers 06h00, on est toujours très excité. On va chercher nos dossards et on prépare nos sacs. Il y a du matériel qui est obligatoire comme par exemple une réserve d’eau, un coupe-vent et une couverture de survie. Pour la nourriture et les recharges en boisson, il y aura 4 ravitaillements sur le parcours. Ça fait à peu près un ravitaillement toutes les 90 minutes donc mieux vaut avoir assez de réserves sur soi, surtout quand on n’est pas un expert du trail. Nous on court sans bâtons. On sait que c’est vraiment utile à la descente et à la montée, surtout dans les pentes qui nous attendent, mais on a toujours fait sans.

Le départ est donné à 07h00. Il fait encore nuit. Ça commence directement raide. On se dépêche au début pour ne pas se retrouver bloqué dans un groupe lent sur des petits sentiers où on ne peut pas dépasser. Là on est bien, on avance bien sans trop se stresser. On assiste au lever du soleil.

L’une des particularités du trail des Patrouilleurs c’est qu’on s’inscrit par équipe de deux ou trois. Coup de mou, coup de fouet, on est voué à courir les trois ensembles sur toute la distance. Il y a de temps en temps des contrôles sur le parcours. Nous on s’appelle « Les Trois Crocus » mais on ne sait plus pourquoi. On est déjà bien monté, on arrive au premier ravitaillement des 8km. Jusque là tout va bien. On mange beaucoup et on boit beaucoup, en essayant de perdre le moins de temps possible, on est là pour garder les réserves d’énergie au mieux mais pas pour faire la pause. Pour des débutants on se débrouille pas trop mal !

Après une quinzaine de kilomètres Jérémy commence un peu à peiner. Ça va toujours mais il sent qu’il est déjà un peu limite et qu’il va devoir bien gérer la suite de la course. On a beau être une équipe, à part l’encourager, le nourrir et essayer de ne pas le stresser on ne peut pas faire grand chose de plus. Ça recommence à monter sévèrement, Jérémy est dans le dur. Pour l’instant, ça va toujours du côté de Guillaume et moi. On arrive au 2ème ravitaillement des 22km et on fait le plein en prenant le temps de re-remplir nos sacs de boisson. Guillaume trouve que le fromage ça passe super bien pendant les trails. Je suis pas du même avis. Les bénévoles des ravitaillements sont très sympas. De façon générale l’ambiance sur les trails est très amicale je trouve. Jérémy souffre mais a toujours la bonne humeur. On quitte le ravitaillement des 22km et on sait que le prochain ravitaillement est « seulement » au km 26. La subtilité c’est que les deux ravitaillements sont séparés presque uniquement par de la montée, et de la montée sévère avec des appuis dérapants.

Là c’est rude pour tous les trois. On avance vraiment pas très vite, chaque pas est séparé du précédent et pourtant le coeur pulse très fort et très vite. On perd souvent l’équilibre et à mon avis c’est pas à cause du vent mais ça a plus à voir avec nous qui subissons la montée et le fait d’être en altitude (~3000m). Cette montée est vraiment vraiment dure. On arrive enfin au ravitaillement des 26km. Là il y a beaucoup de monde car les courses des 15 et 25km passent aussi par ce point là. Ce ravitaillement-ci est plus grand et n’est pas comme les autres au bord de la route, il faut rentrer à l’intérieur. On n’a pas envie de perdre du temps dans toute cette cohue. On se dit qu’on est encore gavé du dernier ravitaillement et qu’on en a pas besoin. Par précaution, Guillaume qui est encore bien en forme fait un passage éclair pour remplir les petites gourdes de Jérémy. Il fait ça en une vingtaine de secondes à peine. Je pense qu’on a gagné plusieurs minutes sur cette décision. Prochaine étape, le ravitaillement des 36km.
Le gros de la montée est derrière nous pour ce trail. Il reste surtout du plat et de la descente. Jérémy est toujours dans le dur mais son côté compétitif a remplacé sa fatigue et il a l’air d’aller de mieux en mieux. Moi ça va encore, Guillaume a l’air bien. On profite des zones plus plates pour courir vite. On est décent sur la montée et la descente mais de loin pas comme ceux qui savent y faire. Par contre au plat on n’a pas à rougir de notre allure et on en profite. On avance bien ! Ça descend de plus en plus et moi je commence à avoir de la peine. Je suis encore tout à fait lucide mais je sens que les muscles fatiguent. Je suis de moins en moins agile sur mes appuis. Après une trentaine de kms, je sens ma cheville qui perd le contrôle sur un caillou et qui se foule. J’ai le réflexe de me laisser tomber et de me rattraper sur l’autre pied. J’ai pas mis tout mon poids sur la cheville tordue mais elle avait quand même une sale position. J’ai un peu mal mais je continue de courir. De toute façon si c’est vraiment foulé je vais le remarquer. Ça serait très frustrant de devoir s’arrêter 10km avant la fin… La douleur s’atténue. Ça devrait jouer. Ça continue à descendre et à descendre et je commence à vraiment subir chaque pas. Mais bonne nouvelle, on a bien avancé et on est au ravitaillement des 36km. Plus que 6km !

Il nous reste une dernière petite montée sèche avec parfois des chaînes. Moi je suis content j’en peux plus de la descente. Jérémy se plaint de crampes à un muscle que ni moi ni Guillaume ne connaissons. On attendra la fin de la course pour lui demander où se situe ce muscle. Une fois en haut, encore de la descente. Jérémy souffre à la montée mais va bien à la descente. On a beau être quasiment arrivé, mon corps en a marre de la descente. Je me freine brutalement à chaque appui et je n’arrive plus du tout à profiter de la descente pour aller vite. Guillaume et Jérémy sont un peu devant et m’attendent de temps en temps. Dans ma tête tout va bien, je suis serein sur le fait que même si le corps est limité je vais réussir à aller au bout. J’ai l’impression d’être toujours en contrôle. Et là il m’arrive quelque chose d’inattendu. J’éclate en sanglots. Sans raisons. Dans ma tête je suis calme et encore assez concentré. Ni désespéré ni ému d’être bientôt arrivé, je suis encore lucide. Mais c’est vraiment mon corps qui pleure. J’ai plusieurs crises de sanglots de quelques secondes sur les derniers kms. Ça ne m’empêche pas de continuer à courir. Je suis content que Jérémy et Guillaume soient assez devant pour ne pas me voir dans cet état. Ils se feraient du souci alors qu’au final je suis claqué mais ça va bien. Après de la descente à n’en pas finir, les Trois Crocus passent l’arrivée en courant main dans la main, tout est bien qui finit bien 🙂 On est très content mais trop fatigué pour le montrer. On aura bouclé les 42km en 6h33, qui est plutôt un bon temps. Sur les 40 équipes hommes en duo ou trio, on termine 8ème. Et 1ère équipe trio hommes. Du coup on se dit qu’il faut rester pour la remise des prix. On attend encore 2h à Crans Montana pour ne pas être aux abonnés absents quand on nous appellera. On aurait préféré directement rentrer et se laisser mourir dans nos lits 😛 On ne sera jamais appelé. Il y a un classement pour les Trio mais il est secondaire, le classement qui compte c’est celui des Duo et Trio mélangés. Du coup on est resté pour rien, des vrais débutants 😉 Globalement, les Trois Crocus ont adoré le Trail des Patrouilleurs et le recommandent. Beaucoup de souffrance mais aussi beaucoup de plaisir !

P.S. Avec mon physique, je pensais que j’allais vite me remettre niveau fatigue générale mais souffrir des articulations plus longtemps. C’est tout l’inverse qui s’est passé. 3 jours plus tard je n’avais plus de courbatures et les articulations étaient au top. Par contre la fatigue est restée plus longtemps que prévu.