Quand tout va de travers
Après nos championnats d’Europe très encourageants, il fallait encore décider de l’équipage définitif pour les mondiaux. Kamber est de retour, il était blessé à la côte et a adapté ses entraînements ces 12 dernières semaines. Il est tribord, tout comme Kessler et moi. Plutôt que de refaire des Trials, il est décidé que Kamber remplacera Kessler pour la coupe du monde de Poznan et qu’on fera le point suite à cette compétition. On a reçu un nouveau 4- mais on garde notre vieille coque (qui se fait très très très vieille) jusqu’à Poznan, afin de pouvoir mieux isoler l’effet qu’a Kamber sur le bateau. Ça me semble raisonnable.

Malheureusement pour Kamber, sa côte se fracture à nouveau brutalement lors d’un entraînement intense. Douleur et suffocation, on compatit mais on ne peut pas grand chose pour lui. L’entraînement se poursuit avec Kessler. Mais c’est désormais impossible de ramer correctement, le bateau s’affale pendant la poussée. On avait freiné en catastrophe, avec une allure de course et il y avait eu 2 kreps. On pense que les réglages du bateau ont dû bouger. On est persuadé qu’il y a du dégât, on demande aux coaches de contrôler le bateau. Le bateau est contrôlé mais rien d’anormal à signaler
A partir de là, c’est deux semaines de galère. Les sensations sont très mauvaises, on ne se trouve plus dans le bateau, on ne se reconnaît plus. On devient fou à ramer kilomètres après kilomètres sans qualité. On a l’impression de tout faire faux alors qu’on s’applique au mieux. Si la qualité n’est pas là, la quantité, elle, ne diminue pas bien au contraire. Des premiers signes de blessure font leur apparition sur deux coéquipiers. C’est dans ces conditions qu’on se rend pour la deuxième étape de coupe du monde à Poznan.

Poznan n’a pas changé. Du béton et du vent. On est à la veille de notre première course. On vient d’effectuer des fractions de course qui ne se sont vraiment pas bien passées. On ne comprend toujours pas comment ni pourquoi on est si mauvais. On demande au constructeur de notre bateau (qui est sur place) de tout revérifier les réglages du bateau. Il en ressort qu’il y a des sérieux problèmes. On nous demande comment on a fait pour ramer avec des réglages pareils…

A ce moment plein de pensées me traversent l’esprit. Au début je suis content de me dire qu’on n’est pas fou et qu’il y a une explication à tous ces mauvais entraînements. Dans un second temps, je réalise à quel point on a perdu du temps pour un problème aussi élémentaire. La frustration est grande. On s’est tous donné à fond et on remarque que c’était voué à l’échec. Tous ces kilomètres où on s’est traîné de notre mieux sur l’eau… 350kms comme ça… Et comment ça se fait que le problème n’ait pas été découvert directement ? Toute l’équipe est frustrée, moi le plus. On me demande d’avoir une confiance aveugle en le système de l’équipe suisse d’aviron et Dieu sait qu’il y a bien des choses que je trouve qu’on pourrait faire mieux (ou en tout cas différemment). Mais je suis le programme aussi fidèlement et honnêtement qu’il m’est possible de le faire. On me demande de me laisser guider les yeux fermés, d’accord mais alors j’ai besoin d’être guidé à la quasi perfection. Là j’ai l’impression qu’on m’a orienté droit dans le mur. Je n’ai pas envie de me retrouver en coupe du monde dans ces conditions. Ce n’est pas le moment de tout faire exploser non plus, alors je me contiens. Mes coéquipiers font mieux que moi la part des choses. De mon côté je fais ce qu’il faut pour être prêt mentalement pour faire des courses à 100% le moment venu. On a toutes les excuses pour se permettre une mauvaise performance mais ça ne nous satisferait pas.

Notre première course se passe relativement bien. Rien de très délicat, on est encore désorienté dans ce « nouveau » bateau mais on est combatifs. Nos repêchages se passent un peu mieux et on gagne notre place en demi-finale en remontant la France sur le sprint final. Nous ne sommes pas favoris dans notre demi-finale A/B mais d’après les temps c’est jouable. On n’y parvient pas et on passe en B. En finale B, il y a notamment les Allemands et les Biélorusses respectivement 3emes et 6emes des championnats d’Europe. On termine notre finale B à moins de 2sec des Allemands et 0.03sec derrière les Biélorusses. Ça n’était toujours pas une course en finesse mais on a essayé d’appliquer la base et ensuite le physique a pris le relais. 21 nations étaient présentse en 4- à Poznan, quasiment la totalité mondiale. Notre 9ème place est très encourageante en vue des mondiaux.

Maintenant que la compétition est finie, il reste à éclaircir le comment et le pourquoi de nos réglages. Il semble que ce ne soit pas dû à la négligence d’un coach mais que ce soit un outil de réglage qui était déficient. Tant mieux car les pépins ça peut arriver mais un manque d’investissement de la part d’un entraîneur m’aurait posé un sérieux problème.

Au final, tout ne va plus si mal et la saison se profile bien malgré ce chapitre difficile. Je me réjouis de la suite avec désormais un nouveau bateau !