De retour en rouge et blanc

Du point de vue de l’équipe suisse, la saison 2018 était l’occasion de promouvoir un groupe de pointe (≠ couple) pour les Mondiaux et de voir si la qualification olympique lors des Mondiaux 2019 était une ambition réaliste. Jusque-là, les choses ne semblaient pas prometteuses, c’est pourquoi il a été décidé de rouvrir le projet aux absents intéressés (comme moi !) et de refaire toute une série de sélection en août, 1 mois avant les championnats du Monde.

Préparation pour mes sélections, entraînement en skiff à Lausanne. ©Arnaud Bertsch

Après les championnats suisses, j’ai passé tout le mois de juillet à ramer le matin et à faire un entraînement complémentaire l’après-midi. J’ai beaucoup ramé en skiff et de temps en temps en 2-. Ce mois de juillet a été intense et 1 semaine avant les tests de sélection pour le 4-, j’étais complètement claqué mais satisfait des progrès accomplis. Après m’être un peu reposé et affûté pour ces sélections, je me suis présenté au centre national à Sarnen, à la fois en tant qu’habitué et aussi en tant que nouveau venu. Ça m’a fait plaisir de revoir certaines têtes connues et aussi d’en découvrir des nouvelles.

C’est avec une certaine fraîcheur et dans la bonne humeur que je me suis retrouvé sur un ergomètre, côte à côte avec mes concurrents et potentiels futurs partenaires. Mon dernier test ergo remontait à fin 2015 (dernier moment avant toutes les péripéties du scaphoïde…) et même si je savais plus ou moins mon état de forme du moment, je savais que ça allait être dur de me jauger sur cet effort. J’ai bouclé le 2000m en 5min55. Ce n’est pas mon meilleur temps (5min49 en 2015) mais ça reste un temps décent, même pour le niveau international. J’étais plutôt satisfait du test, il me restait encore les sélections sur l’eau.

Eliminatoire des mondiaux, ©Detlev Seyb, SRV

Finalement, ce sont ces sélections sur l’eau qui sont les plus importantes. Les seat races se sont passés en 4- et en 2-, avec l’enchaînement de 5 courses de 1500m (évidemment nous on ne sait jamais quand ça s’arrête). Comme pour tous les seat races (mais je pense encore plus en pointe qu’en couple), c’est un sacré rodéo. Il ne faut pas s’attendre à avoir des bonnes sensations, pas le temps de s’arrêter sur le détail, il faut se focaliser sur l’essentiel et faire abstraction du reste.

Au final, j’ai été pris dans le 4- avec Benjamin Hirsch, Markus Kessler et Paul Jacquot. Mario Gyr et Joël Schürch (les deux ex-poids légers) ont été sélectionnés dans le 2- et se tiennent prêts si nécessaire à faire office de remplaçants pour le 4-. Pour la première fois de ma vie, j’allais être le plus petit du bateau avec mes 1m94… Ça ne m’a pas empêché de rapidement me mettre à l’aise en pointe. Du point de vue de l’équipe, il n’y avait aucune cohésion. Les entraînements étaient lourds et pénibles, le bateau était instable, la force n’était pas appliquée en même temps. Bref, ce n’était pas la joie.

Ça a été comme ça pendant 2 semaines avec au milieu de ces 2 semaines un entraînement miracle où tout s’était mis en place, mais seulement pour le temps d’un entraînement. La confiance ne régnait pas dans le bateau. D’expérience, je savais que même si ça paraissait fou, c’était tout à fait possible que du jour au lendemain un bateau lent ait un déclic et devienne un bateau rapide. Il suffit parfois de comprendre certaines petites choses basiques qui font des différences énormes en terme de cohésion et donc de vitesse. J’ai fait de mon mieux pour y croire à chaque entraînement et pour partager avec mes coéquipiers cette envie de créer le changement sans se laisser freiner par des pensées négatives. La 3ème semaine, on a enchaîné les bonnes sorties, ça ramait long, ça ramait puissant, ça ramait sans hésitation. Notre 4- avait des vitesses similaires au 4x d’avant Rio. Malheureusement, tous ces progrès ont à nouveau mystérieusement disparu peu avant notre départ pour les mondiaux en Bulgarie… Retour à la case départ.

A basse cadence, le jour de notre repêchage. ©Detlev Seyb, SRV

Nous sommes arrivés à Plovdiv en doutant de ce qu’on allait être capable de produire. Capables du meilleur et du pire. Pour la moitié de notre bateau, ça allait être leur premier championnat du monde élite. 19 bateaux inscrits en 4-. On a commencé avec l’éliminatoire. L’échauffement s’est passé incroyablement bien, on avait vraiment un bon rythme. Malheureusement, dès les premiers coups de la course, ce n’était plus la même qualité. On a terminé dernier de la série. En route pour les repêchages. Le passage par les repêchages était attendu mais on espérait quand même montrer une meilleure performance lors de l’éliminatoire. En repêchage, les deux premiers bateaux se qualifiaient pour les demi-finales A/B et seraient alors forcément dans le top 12 mondial. Pour nous ce serait magnifique. L’échauffement ne s’est pas passé au mieux mais les coups étaient bien appuyés et bien décidés. C’est ça qu’on veut.

Dès le départ, chaque coup était agressif. On est vraiment parti comme des salauds, ce qui nous a permis de rester dans le paquet. Après 500m, on était déjà bien dans le dur. A 800m, on était dans le coup, et on a essayé d’attaquer sévèrement. Tous les concurrents ont réagi à fond mais au passage des 1000m, tout le monde a eu un coup de mou mais pas nous. Au contraire, on avait une cadence plus basse (36 coups/minute) mais un coup long et puissant qui nous a permis de nous détacher du groupe. A 1500m, on s’est retrouvé en tête avec les Tchèques, une longueur devant le reste de la course.

Personne ne nous attendait là. On a terminé la course 2ème, les Tchèques étaient atteignables mais il aurait fallu prendre des risques sur la fin de parcours. Qualifiés pour la demi A/B, on avait l’impression d’avoir gagné une finale. A noter qu’il y avait dans cette course la France, médaillée de bronze aux championnats d’Europe un mois plus tôt. Comme quoi il n’y a pas de hiérarchie qui tienne à l’aviron, les compteurs sont remis à zéro avant chaque course.

Demi-finale A/B. ©Detlev Seyb, SRV

En demi-finale, on savait que nos chances de passer en finale A étaient maigres alors on a essayé d’y aller plus qu’agressivement. Rien à perdre. On est bien parti mais on a ramé assez court ce qui fait qu’en 2ème partie de course on ne pouvait plus passer à la vitesse supérieure. Pas grave, on a essayé. En finale B, on y est allé à nouveau agressivement et on s’est retrouvé 2ème au 1000m. A 1500m, tout était encore jouable mais notre manque de pratique s’est fait sentir et au moment où il aurait fallu jouer le tout pour le tout on s’est désuni et on a ralenti plutôt que d’accélérer. On termine 5ème de la finale B, soit 11ème des championnats du monde.

Personne n’aurait parié sur une 11ème place 2 semaines plus tôt. Dans une année, ce sont les 8 meilleurs 4- qui se qualifieront pour les Jeux Olympiques de Tokyo. Très honnêtement, nous avons ramé de façon approximative et je pense que techniquement il y a encore énormément à gagner. Sans parler des progrès physiques, psychiques et de l’expérience à engranger. Quelle que soit la composition exacte du bateau, je suis persuadé que la Suisse peut qualifier un 4- l’année prochaine. Ça fait longtemps que la Suisse n’a pas eu un bateau de pointe pouvant espérer aller aux JO. Maintenant, retour à la maison pour un mois, un peu de pause, début du Master à l’uni, reprise des entraînements au LSA puis ensuite reprise du rythme à 5 jours par semaine à Sarnen. En attendant, je compte en profiter pour faire des trucs sympas en course à pied.

Derniers coups de la finale B. ©Detlev Seyb, SRV

Et dernière chose, un grand merci à Augustin Lenormand et Raphaël Roulet pour m’avoir permis de reprendre mes marques en 2- ainsi qu’à Arnaud Bertsch pour m’avoir fidèlement coaché tous les matins tôt avant sa journée de travail pour me préparer au mieux en vue des sélections. C’est grâce à des gens comme eux que je suis bel et bien de retour !

Augustin et Augustin très à l'aise en 2- 😛 ©Arnaud Bertsch
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