Une saison 2019 mitigée

Bonjour à tous ! Désolé de ne pas avoir donné de nouvelles depuis la qualification pour Tokyo 2020. On dit souvent « pas de nouvelles, bonnes nouvelles ». C’est généralement le cas avec moi, mais cette année aura été l’exception. Voici donc ce qu’il s’est passé depuis.

Pour remettre un peu de contexte, voilà ce que j’avais écrit avant notre succès à Linz pour la  qualification olympique:

Je me suis quand même promis que, quel que soit le résultat aux Mondiaux, qualification olympique ou pas, il faudrait quand même que j’aie une importante discussion avec les coaches après la saison. Trop de choses me font penser qu’on bâcle notre travail et qu’on pourrait faire mieux tout en ayant plus de plaisir. Ça me frustre et la frustration sur le long terme ça n’a rien de bon. Avant d’entamer la saison 2019-2020, il faudra régler ça.

A Linz, la joie d'avoir décroché le billet pour Tokyo 2020

Apprendre de ses erreurs ?

Malheureusement, suite à notre qualification olympique, tout le monde a mis un filtre rose sur notre saison. Tout était alors devenu si beau vu de l’extérieur. Pourtant, si on avait terminé 9ème et pas 8ème, en manquant alors la qualification olympique pour une place, le bilan aurait été tout à fait différent. Qualification ou pas, la saison s’était résumée en déconvenues, frustrations, blessures, incompréhensions, manque de communication, manque de collaboration, perte de confiance. On avait enchaîné les pépins, parfois c’était la faute à pas de chance mais bien trop souvent c’était tout à fait prévisible et donc évitable. Les deux gros points positifs étaient l’ambiance entre les 4 rameurs qui était restée bonne et le fait d’avoir décroché in extremis la qualification pour Tokyo. Je dis « in extremis » car sur les 4 courses des championnats du monde, 2 ont été ratées et 2 ont été très solides.

Suite aux mondiaux 2019, notre 8ème place synonyme de qualification pour Tokyo avait un peu faussé les pistes. Ça donnait le message « tout va bien il faut continuer ainsi ». Nos bilans de saisons ont été transmis aux coaches et ils n’ont pas compris pourquoi nous étions « si négatifs » alors que nous étions qualifiés. Leur surprise était surprenante puisque tous les points abordés avaient déjà été évoqués durant la saison. Au final, tout le monde semblait d’accord d’essayer de faire mieux pour la saison prochaine.

Puis l’hiver est arrivé. Comme d’habitude, j’ai eu un hiver difficile où la forme n’était pas là et la performance bien en dessous d’où j’étais supposé être. Ce n’est pas une surprise, j’ai ce rythme malgré moi, étonnamment mauvais en hiver, étonnamment bon en été. Cela s’est vu et revu au fil des années. Du côté de la fédération suisse d’aviron, il y a eu des semblants de changement, qui en fait n’étaient que très superficiels et n’amélioraient en rien la situation, voire même faisaient l’effet inverse.

De haut en bas: Markus, Joël, Paul et Augustin. Coupe du Monde à Rotterdam en 2019 ©SRV, Detlev Seyb

Exemple: en 2019, les sorties techniques (càd dont le but est d’améliorer la technique de rame) se terminaient lorsque 15km étaient parcourus. Si on s’arrêtait pour discuter avec le coach ou si on travaillait sur un point précis (qui aurait fait avancer le bateau moins vite avant de le faire aller plus vite sur long terme), les sorties techniques devenaient trop longues. Et avec 3 entraînements par jour, il n’y a pas le temps de faire des heures supp, les entraînements s’enchaînent et le temps de pause entre deux entraînements est déjà très limité. On ne prenait donc jamais le temps de bien faire les choses à cause de l’obsession d’accumuler les kilomètres. La quantité nuisait clairement dans ce cas à la qualité. Du coup pour 2020, suite aux remarques des athlètes, il a été décidé que les sorties techniques ne se mesureraient plus au kilométrage (15km) mais en minutes (70min). J’aurais espéré que ce soit le coach qui puisse décider sur le moment quand l’équipage rentrerait: parfois il faut plus que 70min pour qu’un équipage puisse progresser techniquement, parfois prolonger la sortie jusqu’à 70min est néfaste car l’attention se perd, on automatise alors un mouvement médiocre. Mais la politique de la quantité et du contrôle en a décidé autrement. Dommage, ça aurait pu être plus malin mais ça restait un pas dans la bonne direction. Ce qui est fou, c’est qu’à partir de ce moment-là, les sorties techniques ont pratiquement disparu. Moins de 6 sorties techniques ont été réalisées en 6 mois… Un petit pas en avant pour un grand pas en arrière.

Markus, Augustin, Nico et Roman. Coupe du Monde de Lucerne, 2015

Le 4- Suisse reste au sec

Les sélections internes du mois de mars sont ensuite arrivées. 4 jours à Münich pour garder 4 personnes dans le 4- (sur les 6 personnes du groupe). Le récit des sélections sera bien trop bref: sur les 4 jours de sélection à disposition, seulement 2 jours ont été utilisés et je n’ai pas touché à un 4-. Le premier jour, un test ergo pas incroyable de ma part me met dans la même seconde que les 2 autres rameurs de ma bordée. Le deuxième jour, nous effectuons 3 courses de 1500m en 2- où chaque tribord termine une fois 1er, une fois 2ème et une fois 3ème. Autant dire qu’à ce moment-là, tout le monde s’attendait à devoir sortir en 4- pour se départager en  faisant des seat races. En réalité, les sélections étaient déjà terminées. J’ai appris que le 4- avait été sélectionné et que je n’en faisais pas partie. Les coaches sélectionnaient donc un 4- à l’aveugle sans même l’avoir vu ne serait-ce qu’une fois sur l’eau (car oui, depuis les championnats du monde, le 4- avait été rangé et on ne l’avait presque jamais ressorti). En tant qu’athlète, tu sais que tu peux perdre ta place. Que quelqu’un du groupe fasse mieux avancer un 4- que moi ?  J’en doute car je suis confiant sur mes capacités en bateau long mais c’est possible. Mais il faudrait alors qu’on vienne me confronter. Si on me bat, ça fait partie du sport, je cède ma place à cette personne et je lui dis bravo. Par contre, perdre ma place sans avoir même touché à un 4- ni durant les sélections, ni même à l’entraînement, je trouve cela insensé et c’est du jamais vu.

D’après les coaches, j’étais en dessous des autres rameurs et c’était clair que je n’avais pas ma place dans le 4-. Ils disaient que leur décision était purement objective, que les temps en 2- étaient parlant. Evidemment, on ne me donne pas l’accès aux temps mesurés. Qu’est-ce que je peux faire contre des coaches qui se disent « objectifs » mais qui ne sont pas transparents ? Si c’était objectif et impartial, ma foi la vérité me sauterait aux yeux et je serais bien obligé de leur donner raison. Et même, si c’était purement subjectif et qu’on me disait « écoute t’es dans le lot avec les autres mais d’après ce qu’on a vu aux entraînements, on pense que c’est mieux sans toi » je pourrais comprendre. Le feeling du coach est quelque chose qui pourrait avoir de la valeur. Mais là encore, un 4- a quasi jamais été sorti à l’entraînement. Et les rares sorties où j’étais en 4-, les pourcentages étaient très bons. Bref, tout ça m’est incompréhensible.

Je leur ai donc proposé d’aller jusqu’au bout des sélections et donc de faire les seat races en 4-. Il nous restait 2 jours à Münich, qui est-ce qui y gagnerait à ne pas tester les choses jusqu’au bout ? Si en effet j’étais si mauvais, ça se verrait en 4-, je perdrais mes seat races, j’accepterais ma défaite. Faire ces sélections jusqu’au bout serait bénéfique pour le 4- quelle que soit sa composition finale, car quand tu es au départ des JO, tu es confiant car tu sais que tu as dans ton bateau les meilleurs rameurs de ton pays. Si les sélections ont été jouées au loto, la confiance de l’équipe s’en trouve affaiblie. Ma proposition a été refusée.

Damien, Augustin, Roman et Barnabé. Championnats du Monde U23, Varese, 2014 ©SRV Detlev Seyb

Remplaçant aux JO 2020 ?

Je me suis alors retrouvé à être remplaçant sans comprendre pourquoi. Et pas un remplaçant fier, un remplaçant qu’on n’avait même pas jugé utile de tester en 4-. J’étais une roue de secours, mais une roue de secours carrée. En tant que remplaçant, le voyage pour Toyko 2020 m’était quasi garanti mais ne m’enchantait pas. Le « ouais mais tu sais comment c’est, il y en a toujours un qui se blesse et au final c’est jamais ceux qu’on sélectionne qui sont dans le bateau au départ » du head coach n’était motivant ni pour moi ni pour l’équipe. Si je reste dans le groupe c’est pour y amener du positif et pour collaborer, pas pour attendre dans l’ombre que quelqu’un se blesse. Et ça montrait aussi la confiance que le headcoach avait en son programme d’entraînement et en l’équipe… J’étais aux JO de Londres en 2012 et à Rio en 2016, aller à Toyko pour faire de la figuration où me retrouver dans un bateau mal préparé, ça ne me motivait pas du tout. Nico Stahlberg était dans la même situation que moi: lui aussi double olympien, lui aussi avait cette impression d’avoir été mis sur la touche sans avoir pu montrer ce qu’il valait. Dans les semaines suivant ces « sélections », on a encore fait recours mais sans succès. Une des justifications avancée était assez parlante: « Sur les 6 rameurs, seuls 2 ont fait recours. La majorité est donc contente »…

Dimitri, Guillaume, Jérémy et Augustin.Entraînement à Lausanne, 2014

Tokyo 2021, trop tard pour moi

Plus tard, le report des JO d’une année a été annoncé. On me faisait alors miroiter le fait que les sélections internes 2020 ne comptaient que pour 2020 et que des sélections internes allaient à nouveau avoir lieu l’année prochaine. Oui, mais serrer les dents encore une année pour qu’on me refasse le même coup l’année prochaine, non merci. Si tu as du plaisir, si tu comprends le sens des entraînements et tu progresses alors oui tu peux ramer encore des années et des années. Mais plaisir, progression et collaboration sont absents du programme depuis un moment déjà et rien n’est sur le point de changer. Courir sans but, comme un hamster dans sa roue, du matin au soir, sans pouvoir améliorer quoi que ce soit, ce n’est pas une perspective attirante. C’est devenu de plus en plus clair dans ma tête: il est temps de passer à autre chose.

Voilà pour ma « saison » 2019-2020. J’ai essayé de ne pas trop m’étaler et de rester factuel (même si bien sûr c’est quand même mon point de vue). Je pourrais encore donner pas mal d’exemples concrêts pour illustrer mes propos. Mais ça décrédibiliserait plus la FSSA que ça ne servirait à justifier mon départ et mon but est avant tout d’expliquer pourquoi je n’ai plus d’ambitions pour Tokyo, non pas de dresser le portrait le plus noir possible de la FSSA. Comme vous l’avez compris en lisant ce texte, je pense en effet que le travail réalisé en équipe suisse est mauvais et loin des standards professionnels auxquels on pourrait s’attendre. Cependant, si leur façon de faire peut convenir à certains, tant mieux pour eux et je leur souhaite bon vent. Il sera intéressant de voir l’évolution du 4- suisse jusqu’à Tokyo 2021.

Jeux Olympiques de la Jeunesse, Singapour 2010. ©Arnaud Bertsch

Et la suite ?

De mon côté, cette triste fin en équipe suisse ne m’a pas rendu complètement allergique à l’aviron. On peut toujours me voir de temps en temps sur l’eau à Vidy, parfois comme rameur, parfois comme moniteur. J’ai aussi retrouvé les bancs universitaires et je vais terminer mon master en enseignement du sport en juin 2021. En dehors de l’aviron, il y a pas mal de choses qui m’intéressent et j’ai désormais du temps et de l’énergie à y consacrer. Mes priorités ont changé, ma vie ne tourne plus autour de l’aviron et c’est un changement drastique. Mon histoire n’est pas terminée mais un gros chapitre se clôt et un nouveau débute.

Pour ceux qui souhaiteraient en savoir d’avantage, je suis à disposition pour en discuter et répondre à vos questions.

Championnats du monde juniors, Racice, 2010

Merci

Avant de terminer ce texte, qui sera probablement le dernier de MailleferRowing, je tiens à remercier chaque personne et chaque institution qui m’a épaulé et soutenu d’une manière ou d’une autre dans cette aventure ! Ce n’est pas parce qu’on finit sur un dérapage que le voyage n’a pas été fantastique ! Merci de m’avoir permis de vivre tout ça ! Merci pour les grands coups de main, merci pour les petits coups de pouce, merci pour les encouragements de près ou de loin, merci pour tout !

Passage de la flamme à l'Uni Lausanne à l'occasion des Jeux Olympiques de la Jeunesse ©Fabrice Ducrest