Préparation finale à Libourne

Libourne (en France, vers Bordeaux) c’est mon camp préféré. Il fait beau, il fait chaud, le plan d’eau est bon, c’est un camp où on a des bonnes sensations sur l’eau. Bref, le camp où la qualité prend le dessus sur la quantité. Enfin ! Les dernières semaines à Sarnen ayant été très dures, je me réjouis de faire des sorties plus courtes, plus intenses et plus précises. A Libourne, on ne s’entraîne « plus que » deux fois par jour et j’apprécie. Niveau quantité, on en fait quand même plus que ce à quoi je m’attendais. On rame fréquemment 35 kms par jour. Techniquement on  a des bons passages ou même des bonnes sorties mais on rame toujours jusqu’au moment où ça ne va plus (et au-delà). Ça me frustre qu’on ne reste pas dans notre bonne zone. Deux semaines avant  les mondiaux  j’aurais besoin de consolider et stabiliser nos bons passages techniques, pas de  les secouer  jusqu’à ce qu’on les perde. Au final, même si mes attentes étaient plus hautes que ça, Libourne a quand même été un très bon camp avec plus de qualité qu’habituellement. Je me suis quand même promis que, quel que soit le résultat aux Mondiaux, qualification olympique ou pas, il faudrait quand même que j’aie une importante discussion avec les coaches après la saison. Trop de choses me font penser qu’on bâcle notre travail et qu’on pourrait faire mieux tout en ayant plus de plaisir. Ça me frustre et la frustration sur le long terme ça n’a rien de bon. Avant d’entamer la saison 2019-2020, il faudra régler ça. Mais pour l’instant cap sur les mondiaux à Linz, pour le moment il faut uniquement se concentrer sur cette échéance qui est l’objectif de l’année.

©Jean-Michel Photographie

De Libourne à Linz

On prend l’avion pour rentrer de Libourne. Après 1 jour et demi à la maison (avec encore un entraînement en club), le plan était de faire Lausanne-Münich en voiture, dormir à Münich puis de rouler de Münich à Linz pour arriver en fin de matinée et avoir le temps de ramer sur place l’après-midi. Depuis mes problèmes de santé à Rotterdam, j’ai pu consulter un thérapeute qui a traité mes migraines avec une toute autre approche que les autres médecins. Convaincu de l’efficacité de ses soins, je veux retourner le voir une dernière fois avant de partir à Linz. Aller à mon RDV signifierait que je ferais toute la route en un jour (8h de route)  et que j’arriverais peu avant que le bassin ferme à Linz. C’est un risque mais c’est important pour moi, je veux avoir la tête libre pour attaquer ces mondiaux. Mes coéquipiers et la fédé sont prudents mais me soutiennent dans cette démarche. Au final, si je suis content, mes coéquipiers et le coach le sont aussi. J’ai  le feu vert à condition que mon coéquipier Paul Jacquot fasse la route avec moi.

© Detlev Seyb / Swiss Rowing

A peine sorti de mon rendez-vous, Paul est déjà prêt en voiture et fait chauffer le moteur. On traverse la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche en perdant le moins de temps possible. On arrive à Linz 8 heures plus tard. Markus, Joël et Anne-Marie ont déjà monté le bateau. Tout est prêt. On a juste assez de temps avant que le bassin ferme pour ramer 10km. Ça tombe bien on ne voulait de toute façon pas en faire plus 😉 Le bassin est hyper agité, non pas à cause du vent mais parce qu’il y a tellement de rameurs en même temps sur l’eau que ça secoue dans tous les sens. Les sorties sur l’eau sur un bassin agité et avec 8h de voyage dans les jambes se passent généralement mal. Mais on ne se laisse pas déstabiliser et on fait une très bonne sortie.

Premiers coups d'aviron à Linz. ©Detlev Seyb/Swiss Rowing

Eliminatoires

Les choses sérieuses commencent. Le championnat pour lequel on s’est préparé toute l’année va commencer. Il faut faire un top 8 mondial pour aller aux Jeux Olympiques de Tokyo. Peu importe ce qu’il s’est passé avant les championnats du monde, tous les compteurs sont remis à zéro, la qualification olympique commence concrètement maintenant. Il y a 22 nations au départ de l’évènement du M4-, soit 88 athlètes.

Départ de l'éliminatoire. ©Detlev Seyb/Swiss Rowing

Ça commence avec quatre séries de 5 ou 6 bateaux. Seul le premier passera en demi-finale A/B, tous les autres iront en repêchage. Dans notre série il y a l’Angleterre qui est l’une des nations favorites du M4- ainsi que l’Allemagne qui a fait 3ème aux Européens. On a bien des chances de devoir passer par les repêchages mais il faut absolument essayer de faire notre meilleure course même si ça ne passe pas. Comme ça on pourra identifier au besoin les derniers ajustement à faire pour la suite du championnat. Et aux Mondiaux, on a une course tous les 2 jours donc on a le temps de récupérer physiquement. L’échauffement se passe super bien. Nous voilà au départ. On part dans le paquet mais plutôt derrière que devant. On ne trouve jamais vraiment un rythme dominant et décidé sur les jambes comme on le faisait à Libourne. A 1000m, GBR a 6 secondes d’avance et on se ramasse leurs vagues. Notre bateau bouge dans tous les sens, Markus doit beaucoup barrer. On termine 5ème en faisant une mauvaise course. Au fond, faire 2ème ou 6ème aujourd’hui ne change rien puisqu’il faut de toute façon passer par les repêchages. La finalité est la même, mais la façon dont on a fait la course ne nous satisfait pas du tout. Le lendemain, sur le jour OFF, on sait exactement sur quoi travailler lors de nos deux sorties de la journée. On remet notre focus sur les jambes et on reprend confiance sur notre poussée de jambe dominante.

Résultats de l'éliminatoire

Repêchages

On a déjà le couteau sous la gorge. Il va falloir faire dans les deux premiers pour accéder à la demi-finale A/B. Les Américains étaient solides en série, les Biélorusses et les Tchèques ont fait respectivement 8èmes et  9èmes aux mondiaux l’année passée (nous 11èmes). L’Inde ne devrait poser aucun problème. Pour trois de ces 5 bateaux, l’espoir d’une qualification olympique  va bientôt être stoppé net. Une finale C signifie obtenir au mieux un 13ème rang mondial, donc adieu le top 8 et le billet pour Tokyo. On sait qu’il va falloir qu’on montre le meilleur de nous-mêmes pour continuer notre aventure. Une bonne course ne suffira pas, il en faut une très bonne et espérer que ça passe. Ramer enragé, crispé, petit et stressé ne nous fera  pas aller plus vite. On veut ramer long, fort, grand et patient dans l’eau. Ça paraît contre intuitif mais c’est ce qu’il nous faut, nous poser à notre rythme et faire ce qu’on sait faire, soit se suspendre en décontraction et charger un maximum sur les jambes. C’est ce qu’on réussit à appliquer dès les premiers coups du départ.

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Derniers conseils de notre coach Anne-Marie Howald avant le repêchage. ©Detlev Seyb/SwissRowing
Résultats du repêchage

Demi-finale A/B

Notre course de repêchage nous a donné beaucoup de confiance et s’est fait ressentir comme une victoire. Pourtant tout reste encore à faire. On a le top 12 assuré mais il faut faire un top 8, c’est encore loin d’être acquis. Se qualifier pour la finale A nous garantirait un top 6. Ça nous éviterait la folie de la finale B. J’avais vu ça en 2015 à Aiguebelette en M4x, la finale B avait été impitoyable. Une course d’enragés. Nous étions passés en finale A et on l’avait savouré.

Pour passer en finale  A, il va falloir faire la même course  qu’en repêchage mais en mieux. Etre plus rigoureux et pousser encore plus tout en restant fidèle à notre geste.

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©Detlev Seyb/SwissRowing
Résultats de la demi-finale A/B

Finale B

Après notre déception en demi-finale A/B, voici ce que j’avais répondu aux médias:

« On a essayé d’en donner plus et d’être encore plus agressif que lors du repêchage pour passer en finale A mais nous avons perdu notre rythme imposant pour un coup plus court et moins efficace. En finale B, en laissant notre agressivité s’exprimer à partir de notre coup dominant, toutes les nations seront à notre portée. »

Notre objectif était clair. Il ne reste plus qu’à regarder la course en cliquant ici !

©Jean-Michel Photographie
Résultats de la finale B. Le "OQ" dans la colonne "Total Rank" signifie "Olympic Qualification"

Qualification olympique

Ça y est,  le bateau est qualifié pour les JO de Tokyo 2020 ! On ne réalise pas vraiment mais on l’a fait. On a ramé comme on le souhaitait, sans complexes, en s’imposant dans notre style. De mon point de vue, les 1500 premiers mètres étaient impeccables. Sur le dernier 500m, on voit les Hollandais venir mais on reste conservateur. Comme pour le repêchage, on n’est pas encore assez à l’aise pour lâcher un sprint final sans prendre de risque. On avait l’impression d’avoir plus à perdre qu’à gagner. La qualification est là, il reste juste à s’assurer de ne pas taper de bouée. On passe l’arrivée en 2ème position et on rame encore 2 coups après la ligne pour assurer le coup. Je suis persuadé que s’il l’avait fallu on aurait pu rester devant jusqu’à la fin. On sait qu’il y a encore de nombreuses choses qu’on devra et pourra faire mieux à Tokyo. 7ème ou 8ème aujourd’hui, peu importe, la Suisse pourra envoyer un M4- au Japon et il n’y a que ça qui compte ! Avec une saison aussi difficile et décourageante, ce ticket pour Tokyo a encore plus de valeur. On est fou de joie et on va partager notre bonheur avec notre staff et nos familles et amis qui sont venus nous encourager.

Merci à tous ceux qui nous ont soutenus, sur place ou à distance, en live ou après coup !

La suite

Quel soulagement que d’avoir obtenu cette qualification olympique ! Ça ne veut pas pour autant dire que je vais aller aux JO pour sûr. Ce qui est sûr c’est que la Suisse a désormais son spot en M4- à Tokyo. De mon côté, il va falloir m’assurer de rester dans cet équipage, la composition du bateau peut encore changer d’ici Tokyo. Malgré ça, je vais pouvoir attaquer l’hiver sereinement, en sachant que l’étape coupe-gorge en vue des JO a été franchie. Tokyo serait ma 3ème participation à des Jeux Olympiques. On peut se concentrer sur l’entraînement sans avoir la tête remplie de doutes quant à l’année 2020. Huit bateaux se sont qualifiés à Linz, il reste encore 2 places qui vont se disputer à Lucerne en mai. Mais personne ne souhaite devoir passer par cette étape. C’est un chemin encore plus incertain. Nous on est tranquille de ce côté là et pouvoir s’entraîner sans être tout le temps stressé va nous être bénéfique j’en suis certain.

@ Jean-Michel Photographie

Dans l’immédiat, ce qu’il nous reste à faire c’est d’aller fêter, de profiter, de prendre enfin quelques semaines de vacances puis de revenir à l’entraînement reposé et avec du recul quant à notre parcours cette saison. Beaucoup de gros défis nous attendent encore dès la reprise des entraînements et apprendre de nos erreurs de la saison passée est essentiel pour progresser et garder du plaisir durant cette année olympique. Comme toujours, la saison prochaine et surtout l’hiver prochain seront durs, mais savoir que Tokyo 2020 est bel et bien réel, ça va me motiver ! Je me réjouis de la suite !

©Detlev Seyb / Swiss Rowing
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